Les yeux dans le vague, je fixais dubitativement le tableau noir, absorbée par mes pensées. La veille au soir, j'avais appris que ma soeur se faisait battre par son petit ami.. J'étais encore chamboulée par cette nouvelle, ne sachant comment réagir. D'un côté j'étais partagée entre la colère vis à vis de Hannah qui ne m'avait rien dis avant, puis de l'autre, la haine que je ressentais envers James, et l'irrésistible envie que j'avais de l'enfermer dans un réfrigérateur, et de le laisser là un bon mois, avant d'aller le rechercher, complètement congelé, et peut-être mort. Enfin de toute façon, ce plan était à bannir de mon esprit, je ne voulais pas aller en prison pour meurtre, j'étais bien trop jolie pour ça, et le orange m'allait mal au teint...
Néanmoins, tout cela ne m'empêchait pas d'être triste et perturbée. Et cela se ressentait sur mon comportement du jour. Moins exubérante que d'habitude, plus ''docile'', disons que je n'avais pas vraiment le moral, j'avais plutôt envie de pleurer, mais les larmes ne venaient pas. Je n'avais pas encore pris totalement conscience de la situation dans laquelle se retrouvait ma soeur. Je vivais dans un monde rose et doré, et pour moi, l'expression ''battre quelqu'un'' se résumait à battre une personne à un jeu quelconque.

Alors que la sonnerie retentissait, je rangeais doucement mes affaires. Je n'avais rien suivi à mon cours de français, mais de toute façon je n'y comprenais rien. Une élève me dévisageait alors que je me levais et passais mon sac sur mon épaule.

- Qu'est-ce que t'as la morue, tu veux ma photo peut-être ?!

La jeune étudiante détourna le regard avant de filer sans demander son reste. La tête haute, je m'apprêtais à partir, quand quelqu'un prononça mon prénom. Me retournant, je voyais que c'était Gabriel, ou plutôt M. York, qui m'appelait. Soupirant et levant les yeux au ciel je traînais les pieds jusqu'à son bureau.

- Quoi ?

Tandis que la salle se vidait progressivement, je fixais le tableau noir, en attendant que Gabriel veuille bien me dire ce qu'il avait à me dire pour que je puisse m'en aller.

- Sydney, je sais pas ce qu’il t’arrive mais j’aimerais que tu écoutes plus pendant mes cours. Ta dernière note prouve bien que tu n’es pas suffisamment attentive ... C’est dommage, tu pourrais être vraiment douée tu sais !

Roulant discrètement des yeux et haussant les épaules, je me rappelais vaguement avoir reçu une copie pendant le cours, sur laquelle était écris en lettres rouges vives ''6/20, Manque de travail''. C'est vrai que malgré tout, j'avais l'habitude d'avoir des notes bonnes ou moyennes en français, mais pas insuffisantes. Peut-être était-ce à cause du professeur plutôt sexy qui avait le don de me motiver, ou aussi parce que je trouvais que le français était une très belle langue, et je savais que savoir parler le français allait me servir à quelque chose, contrairement au théorème de Pythagore qui n'allait probablement pas m'aider à faire mes courses plus tard...

- Ça n’a rien avoir avec ce qu’il c’est passé entre nous hein ? En tout cas, quoi que ça peut être tu peux m’en parler...

Malgré le fait que Gabriel couchait avec énormément de filles, il n'en restait pas moins gentil. Il s'était approché de moi, comme s'il attendait que je lui fasse des confidences. Me mordillant la lèvre, j'hésitais. Lui dire pour ma soeur, ou me taire ? D'un côté, je mourais d'envie de lui dire, pour me débarrasser de ce poids, et peut-être, dans l'infime espoir qu'il lui vienne en aide. Mais de l'autre côté, Hannah m'avait fait promettre de ne rien dire. Mais qu'avais-je à y perdre ici ? Peut-être l'amour de ma soeur, mais quand elle se rendrait compte que ma décision était la bonne, elle me pardonnerait...

- Je... En fait c'est de te voir tous les jours, ça me perturbe vraiment, je ne t'ai pas oublié depuis notre nuit...

M'avançant vers lui je passais mes mains autour de son cou tout en le regardant dans les yeux. Quelques secondes après, j'étais morte de rire, repassant derrière son bureau. L'humour et la provocation avaient toujours été un moyen de défense pour moi, tout comme aujourd'hui. Je m'étais rétractée, la peur au ventre...
Je m'arrêtais de rire avant de le regarder plus sérieusement.

- Je rigole... Y a un bien un truc qui me perturbe, mais j'ai pas le droit de le dire...

Silencieuse, j’étais complètement perdue dans mes pensées. Beaucoup de personnes me voyaient simplement comme une fille méchante, hautaine, arrogante, bête comme ses pieds, et incapable d’être sérieuse. Certains professeurs ne cachaient pas leurs sentiments à mon égard – bons comme mauvais – mais Gabriel était un des seuls à qui je faisais vraiment confiance. Je le voyais plus comme un ami, un confident qu’autre chose. Et malgré tout, alors que j’étais presque quasi constamment désagréable, en ce moment même j’étais perdue comme une enfant. Je ne suis pas bête, juste un peu naïve. Croyez-le ou non, moi je sais ce que je dis. Repensant à Hannah, je ne prenais pas conscience de la gravité des choses. J’avais la fâcheuse tendance de tout prendre à la légère, mais cette fois si la situation était belle et bien sérieuse, et au lieu de protéger ma sœur, je préférais tenir ma parole envers elle en gardant son secret pour moi. Une personne plus mature aurait pris conscience des choses, et passé la peur qu’on lui en veuille, aurait parlé au premier adulte venu. Mais pas moi. Je ne voulais pas qu’Hannah m’en veuille, et d’un côté, elle avait l’air heureuse malgré tout… Je n’avais même pas besoin de me convaincre que tout allait bien pour elle, car c’était vraiment ce que je pensais. Je n’avais jamais rencontré une violence pareille dans toute ma vie. Les fessées et les claques n’existaient pas dans ma maison – peut-être une des raisons pour lesquels je me comporte comme une princesse aujourd’hui, allez savoir – et donc je ne savais pas à quel point cela pouvait être grave. Les infos à la télé ne m’avaient jamais passionné non plus…

- Dis… Qu’est-ce qui peut arriver à une femme qui se fait battre ?

Un silence s’installa à nouveau. J’observais la bague à ma main droite, que je faisais glisser de bas en haut. J’ajoutais alors, ne sachant pas vraiment s’il m’avait entendu ou s’il ne voulait pas me répondre.

- C’est… grave d’être battu ?

Je savais qu'il y avait autre chose, ça se voyait à sa tête. Je ne savais si elle allait me le dire mais j'espérais que si elle le faisait je saurais lui apporter mon aide. Je n'avais jamais été bon pour ça. Donner des conseils c'était vraiment pas mon truc. Mais j'allais essayer parce que si elle en avait besoin je me devais de le faire. Sidney était là, devant moi, complètement paumée. J'attendais la suite comme si elle allait m'annoncer que quelqu'un était mort ou qu'elle sortait avec un tueur en série qu'elle ne pouvait pas quitter sans se faire tuer. Bon d'accord, j'exagérais la chose mais quand même. C'était peut être grave et je devais me préparer au pire. J'attendis donc, sans rien dire. Elle fini enfin par me demander ce que pouvait risquer une femme qui se faisait battre. J'avoue que je n'y avais jamais vraiment pensé. Si c'était grave ? Je me leva pour aller vers elle sans rien dire. Appuyer contre une des tables je la regarda fixement. J'avais du mal à remettre mes idées au claires. Ce qui était sur c'est que j'avais pensé à tout sauf à ça …

« Ce qu'il peut lui arriver ? Et bien … 1/3 des femmes battues passent par de graves crises de dépression et peuvent même tenter de se suicider à la suite d'un acte de violence. Et c'est le moins grave ça … Parce qu'autrement elle peut … mourir. »

J'avais de la chance, je venais tout juste de lire un article à se sujet. Ce que je me demandais c'est pourquoi me parlait elle de ça. C'était très grave et je n'étais sûrement pas la personne la mieux placée pour l'aider.

« Bien sur que c'est grave Sidney ! Mais pourquoi tu me demandes ça … ? »

Et si c'était elle la femme battue ? Un frisson me parcourue à cette idée. Je ne savais pas quoi faire mais il fallait au moins que je n'ai le cœur net.

« Quelqu'un te fait du mal Sid' ? Si oui, il faut le dire ! »

Je n'avais pas pour habitude d'appeler mes élèves par un surnom mais c'était sortit tout seul et à vrai dire je m'en fichais. L'heure était grave, très grave. Je n'avais aucune idée de comment je pouvais l'aider. Avant toute chose, j'allais attendre qu'elle me réponde et ensuite, j'aviserais. Je l'emmènerais chez les flics si il le faut. Je ne comprenais pas comment un homme pouvait infliger ça à une femme. C'était un acte de lâcheté intolérable ! Un verre de trop n'avait jamais été une excuse et ça ne le sera jamais.